GRANDIOSE !!!

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Le mot est faible pour annoncer l’exploit que vient de réaliser Philippe Croizon ce samedi 18 septembre 2010. Amputé des 4 membres, il a traversé la Manche à la nage dans un temps de 13 heures 23 mn. Sa réussite n’est pas passée inaperçue, tous les médias s’en ont fait l’écho. Comme j’ai eu la chance et l’honneur de l’accompagner lors de son voyage, je vais plutôt vous raconter ce que j’ai vécu de l’intérieur.

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Mercredi soir je retrouve Philippe et son équipe à Folkstone, il est très tendu, il ne peut réaliser sa traversée faute de pilote de bateau chargé de l’accompagner et l’encadrer. En effet, le pilote qu’il avait réservé depuis plus d’un an l’informe qu’il ne peut plus le prendre, car deux nageurs brésiliens inscrits doivent nager avant lui et seulement 2 jours semblent favorables pour traverser. Il faut qu’un nageur déclare forfait mais cette option ne doit pas être prise en compte.

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Pendant deux jours les téléphones portables vont chauffer, nous allons tout mettre en œuvre pour trouver un autre bateau et surtout un pilote. La presse est présente avec les journalistes de France 3 Poitou-Charente et ceux de la radio. Ils vivent et filment ces moments à rebondissement en direct. Il y a de quoi faire un « 52 minutes » rien que sur le sujet (D’ailleurs je pense que je me chargerai prochainement d’en faire une note). La journée de jeudi est longue et Philippe est très stressé. Il n’a pas besoin de cela. Le plus terrible c’est que la journée est des plus magnifiques pour nager et aucun nageur n’a pris le départ car le pilote avait annoncé du mauvais temps donc pas de traversée possible. Le soir c’est enfin le grand soulagement, nous avons finalement trouvé un pilote disponible qui veut bien l’accompagner. Il ne reste plus qu’à officialiser le contrat. A 19 heures, Philippe peut se remettre à rêver de la Manche et surtout se remotiver. Son départ est prévu samedi matin.

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Le vendredi, nous faisons une séance d’entraînement en mer d’une trentaine de minutes afin de se remettre dans le bain et remettre les esprits en place. L’après-midi est consacrée à faire les courses et commencer à préparer les affaires. Le rendez-vous est prévu à 5 heures 30 et nous devons prévoir la logistique pour 24 heures de nage. Sa vitesse de base avec ses palmes est relativement faible : 2 à 2.5km/h. Les anglais aiment bien les paris sportifs et les bookmakers font les paris. Sa côte est à 70 contre un. C’est-à-dire qu’une personne sur 70 croit en sa réussite ! Pour nous, son mental et sa préparation ne laissent aucun doute, la seule inconnue reste la météo, c’est en fonction d’elle que tout peut basculer.

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Samedi matin tôt, Philippe, sa compagne Suzana, son entraîneur Valérie, son médecin Arnaud, un autre Arnaud et moi-même qui avons déjà traversé la Manche embarquons à bord du bateau de pêche piloté par Peter Reed et son fils. Un huissier français engagé par handicap 2000 est présent également pour officialiser sa traversée. Nous naviguons vers la plage où doit s’élancer Philippe. En cours de route, Suzana et Valérie le préparent. Elles effectuent les mêmes gestes répétés depuis deux ans : pose des prothèses prolongées de palmes en fibre de carbone d’une longueur de 70cm, elles le graissent, remontent sa combinaison, enfilent sa cagoule, ses lunettes et son tuba et le voilà paré pour le grand défi.

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A l’aide d’un drap emprunté à l’hôtel, nous allons le descendre du bateau dans l’élément qu’il va devoir conquérir : La Manche. Il nage d’abord en direction de la plage afin de s’asseoir sur le sable car il doit partir assis du bord de la plage. A 6h50, le départ est donné, il s’élance et attaque sa traversée. Il se déplace à l’aide de ses palmes pendant que ses bras amputés moulinent pour garder l’équilibre. La température est de 15.2°C, il fait beau et le vent souffle à 10km/h. Il y a un léger clapot. Rien de bien grave par rapport à ce que la Manche peut offrir quelquefois. Après une heure de nage, il a tout juste parcouru 2km. La journée risque d’être longue mais sans cesse nous allons tous l’encourager…

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 Toutes les demi-heures, nous allons à tour de rôle lui tendre son ravitaillement. Il s’agit d’un système qu’il a spécialement conçu pour la circonstance. Sur un flotteur en forme de V à l’envers il a creusé des trous où peuvent s’insérer 4 gourdes. Il a ainsi le choix de son ravitaillement planifié à l’avance.

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 Soudain, après 3 heures de nage nous allons vivre un instant féérique. Nous apercevons 4 dauphins qui viennent aux côtés de Philippe. Ils vont nager 5 bonnes minutes autour de lui comme s’il voulaient l’encourager. Les pilotes du bateau, habitués à pêcher toute l’année dans ce territoire, nous disent que c’est la première fois qu’ils en voient. C’est unique. Les dauphins ne feront même pas un détour pour aller voir le nageur parti plus tard et qui se situe 200 mètres juste derrière lui. Ils ne sont là que pour lui. C’est magique !

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Le vent devient nul et la mer est plate. Les seules vagues sont dues au passage des cargos. Les courants commencent à descendre de la mer du nord vers l’atlantique et Philippe est dirigé vers les côtes Françaises à une vitesse doublée par rapport à sa vitesse de base. Nous fonçons en direction du cap Gris Nez. Lorsqu’il nage, Philippe dévie toujours sur la gauche et nous passons notre temps à crier et siffler afin qu’il maintienne le bon cap.

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Après six heures de course, au cours d’un ravitaillement il se plaint de douleurs au ventre et commence à avoir froid. C’est un passage obligé, il est en pleine digestion et on lui fait comprendre que cela va passer. Les ravitaillements suivants, la sensation de froid a disparu mais il se plaint de temps à autre de douleurs dans le dos. Son courage et sa ténacité le poussent au-delà de ces petits désagréments.

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Nous sommes en fin de soirée et le vent se lève à nouveau. Il souffle environ à 10km/h et une légère houle se lève. Les côtes françaises approchent de plus en plus, les encouragements vont bon train. La nuit commence à tomber alors je me mets en tenue pour aller le rejoindre dans l’onde. Il commence à faire noir et je nage à ses côtés, nous sommes équipés de sticks lumineux pour nous repérer. Soudain sur le bateau, on m’annonce qu’il faut accélérer si on veut passer la « barrière » de courant. Si on ne va pas assez vite le Cap Gris Nez risque de nous échapper et Philippe sera obligé de revenir l’année prochaine.

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Cela serait dommage alors qu’il a fait le plus dur. Alors qu’il doit se ravitailler, je lui dis : « on ne s’arrête plus, il n’y a plus de ravitaillement, il faut que tu accélères et que tu me suives ». Et nous voilà partis dans le noir à la conquête des falaises du cap Gris Nez. C’est très dur, il ne faut pas lâcher et je vois en regardant le phare que nous sommes déportés à grande vitesse. Philippe n’en peut plus mais il s’accroche. A chaque respiration, je continue de l’encourager, il ne faut pas qu’il lâche, ce n’est pas le moment. Lorsque je lève la tête, j’entends les vagues qui cassent sur les rochers. Je me dis que c’est de la folie, on ne voit rien et le coin est très dangereux. Les bateaux ne peuvent pas s’y aventurer. Sur ma gauche il ne reste qu’une cinquantaine de mètres de falaise, il faut arriver avant sinon c’est foutu. Soudain je me redresse à quelques mètres des rochers et je touche avec mes genoux un rocher plat, j’arrête Philippe et lui crie de s’asseoir. Ça y est il vient de réaliser son rêve : traverser la Manche à la nage ! Il s’assoie, crie et lève les bras au ciel en signe de victoire. Soudain on va frôler la catastrophe, une vague l’emporte en direction des rochers, j’attrape comme je peux une de ses palmes et avant qu’il ne percute un rocher je le tire vers le large. Arnaud nous a rejoint, nous dégageons le plus vite possible car le coin est hyper dangereux. Nous l’arrêtons ensuite à quelques mètres du bord dans une zone moins dangereuse afin qu’il puisse savourer sa réussite avec sa famille et ses amis venus l’encourager.

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J’ai vécu avec Philippe et toute l’équipe de grands moments qui resteront longtemps gravés dans ma mémoire. Mais l’arrivée avec cette rage de finir de Philippe qui n’en pouvait plus restera le moment le plus fort. Philippe, t’es un KILLER !!!

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Cette victoire, il la doit à sa motivation, ses 2 ans d’entrainements assidus, mais aussi à toute une équipe qui la soutenu : sa famille, son entraîneur, la ville de Châtellerault et tous les personnes qui ont cru en lui. Elle est amplement méritée car Philippe est vraiment une personne hors du commun, un être humain pétri de générosité.

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Philippe a mis pour traverser la Manche 13heures 23 minutes : un temps impressionnant au regard de son handicap ! Alors que sa traversée avait été estimée à plus de 20 heures, ce temps s’explique par de très bonnes conditions météorologiques et de très bons pilotes de bateaux. En comparaison, un mois et demi auparavant, Stéphane Lorenzo, plus rapide que Philippe et premier nageur handicapé français de la Manche, avait nagé en 16h11. Il n’a pas eu les mêmes conditions et pourtant il était en maillot et sans palmes…

La Manche est différente pour chacun et aucunes des traversées ne se ressemblent. Trop de paramètres rentrent en jeu pour pouvoir être assuré d’avoir de bonnes conditions de nage, ce qui est primordial c’est le mental, Philippe a eu les deux, cette victoire est donc amplement méritée.

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