Le 1er septembre 2014, j’ai traversé pour la seconde fois la Manche mais cette fois en relais sous les couleurs de l’association « Connaître les Syndromes Cérébelleux [CSC] »
Il s’agit d’une maladie rare ayant comme origine une atteinte du cervelet. Notre relais avait pour objectif de faire connaître l’association et de récolter des dons pour financer la Recherche sur la thérapie génique de ces maladies héréditaires orphelines. Notre équipe pour ce challenge à la fois sportif et solidaire était composée de nageurs Franco-Suisse de tous horizons : Michèle Chan (Suisse), François-Xavier Chagnaud (France), Sergio Bianchini (Suisse), Hugues Le Bel (France) et moi-même. Ce fut une bien belle aventure sportive et humaine pour l’équipe appelée « Team Petit Frère » !
Tout a vraiment commencé pour moi en mars 2014, après avoir été contacté auparavant par François-Xavier (FX) et Michèle pour faire équipe avec eux pour une traversée de la Manche en relais, je leur avais proposé de venir jusqu’à Palavas pour effectuer le test des 2 heures nécessaire pour s’inscrire auprès de la Channel swimming association et voir leur motivation avant de me prononcer sur la suite. Ils ont été rejoints par Sergio et Philippe, 2 autres nageurs pour compléter l’équipe, j’ai pu observer leur réaction face à une température de l’eau avoisinant les 12°C. Ils sont tous allés courageusement jusqu’au bout : quatre nageurs avec quatre styles de nage différents, mais tous avec une motivation et une détermination exceptionnelle qui ne pouvait laisser entrevoir qu’une grande chance de réussite. Je n’ai donc pas hésité longtemps à faire partie de l’équipe et leur faire part de mon expérience de la Manche. C’est au cours de ce week-end dans l’Hérault que l’ordre de passage pour la traversée a été établi. Je partirai en premier, suivi de Michèle puis Hugues le brasseur, Sergio et enfin FX… Le rendez-vous est donc pris pour la première semaine de septembre !!!
Le dimanche 31 août juste après avoir effectué une évasion à la nage de Spike Island en Irlande, je prends à 16h00 l’avion pour Londres puis le train à destination de Douvres afin de rejoindre le groupe déjà sur place depuis la veille. A mon arrivée à 20h20 en gare je suis attendu impatiemment par Hugues et FX qui m’annoncent la nouvelle : « On part dans 4h !!! Nous avons rendez-vous au port à 00h30… » A la fois fatigué et ravi de savoir que la traversée va pouvoir se faire (les conditions météo sont toujours aléatoires) je commence déjà à me préparer mentalement à ce qui va m’attendre. Sur les lieux de notre hébergement chez David et Evelyn au « Channel Swimming Holiday Park » de Varne Ridge, je retrouve le groupe ainsi que Sandrine qui sera notre ange-gardien pendant la traversée. Elle est médecin urgentiste et s’occupera de toute la logistique. Ils sont déjà tous prêts pour le grand départ et ils ont préparé leurs affaires : boissons énergétiques, vêtements chauds, repas…. Je me dépêche d’en faire autant avant de me mettre à table pour dîner et discuter stratégie sur la traversée avec le groupe et les journalistes présents qui vont nous suivre lors de notre relais.
A 00h30 toutes nos affaires sont chargées dans la voiture et nous rejoignons le port de Folkestone. Une fois au port, tous les bateaux sont à sec car c’est marée basse et il n’y a personne !!! Oups, un doute s’installe, est-ce la bonne heure de rendez-vous ? Notre pilote Peter Read, son fils et l’observateur de la CSA nous rejoignent un quart d’heure plus tard. Le temps de discuter et préparer les affaires, la mer est montée à une vitesse impressionnante et les bateaux sont déjà à flot. Nous embarquons sur le bateau de pêche « Rowena FE75 » et nous dirigeons vers Shakespeare Beach, la plage de départ située entre Douvres et Folkestone. Cinq minutes avant d’arriver, je commence à me préparer et m’enduire de graisse. Il fait nuit noire et je rajoute sur mon bonnet et mon maillot des sticks lumineux afin d’être repéré la nuit. D’autres prétendants pour la Manche nous rejoignent avec leur bateau, mais je suis le premier à me mettre à l’eau et à rejoindre la plage à la nage. En effet, les départs se font toujours de la terre ferme. A 1h45 du matin, je lève les bras au ciel pour signifier que je suis prêt et c’est le départ ! C’est parti pour une heure… Je nage au milieu d’une flottille de bateaux éclairés puis après 500 mètres c’est le noir absolu. Je distingue à peine mes avant-bras sous l’eau.
Elle est à 16°C et l’air à 12°C. Lorsque je respire, je vois sur ma gauche les lumières de Douvres et sur ma droite l’éclairage du bateau. J’essaie de me mettre à une distance de 2 à 3 mètres du bateau car la mer est assez plate et il peut me suivre assez facilement. Mais de temps en temps, comme le bateau ne peut suivre une vitesse constante, je me retrouve parfois seul devant le bateau dans le noir total ! A bord du bateau, cela tangue malgré tout pas mal, je vois FX qui me regarde nager et Sergio figé sur sa chaise semble avoir le mal de mer. Les journalistes, quant à eux, prennent des images mais ils me paraissent mal en point aussi.
Sandrine prépare Michèle qui doit prendre le relais. Est-ce que tout le monde va pouvoir tenir toute la journée comme ça avec en prime les odeurs des gaz d’échappement ??? S’il y en a un qui abandonne, c’est malheureusement fini pour l’équipe !!! Après une heure de nage on me dit de m’arrêter et Michèle se met à l’eau derrière moi. Pour faire le relais elle doit me doubler par l’arrière et on ne doit surtout pas se toucher…Je monte ensuite sur le bateau en faisant de l’équilibre sur une petite échelle. Ça fait plus de 20h que je suis debout sans dormir et il ne me tarde qu’une chose, me sécher, me couvrir et enfin me reposer…
C’est ce que je vais faire pendant plus de 3 heures, allongé par terre sur le pont du bateau bercé par les vagues. Je ne vais malheureusement pas pouvoir voir mes coéquipiers nager.
Au bout de 3h30 de repos, j’émerge de mon sommeil avec la tête dans les chaussettes. FX est dans l’eau et je dois me préparer car c’est bientôt mon tour. Le jour se lève et on assiste à un magnifique lever de soleil quand tout à coup j’aperçois un aileron, puis 2.. Puis 5… je me mets à crier : « Regardez des dauphins !!! » Peter Reed Junior, le fils du pilote de bateau sort de sa cabine émerveillé et nous dit alors : « C’est incroyable d’en voir, quelle chance, la dernière et l’unique fois que j’en ai vu c’était il y a 4 ans quand j’accompagnais Philippe Croizon ». C’est alors que je lui réponds : « je sais, j’y étais, j’étais sur le bateau avec vous ! » Quel drôle de coïncidence !!! Etonné, il me répond: « c’est toi alors, tu les attires ! ».
Nous sommes tous sur le bateau à les observer nager autour de nous, malheureusement FX n’a pas réussi à les voir. Alors qu’ils évoluent près de notre bateau, je me positionne pour me remettre à l’eau. Avec un peu de chance, je vais pouvoir les voir de près. Cela ne sera malheureusement pas le cas, dès que je saute à l’eau et commence à nager, je ne les distingue plus, ils font leur chemin et s’éloignent de notre embarcation… Le soleil se lève et l’eau me paraît plus chaude que dans la nuit, c’est effectivement le cas car le thermomètre affiche maintenant 17°C. Je suis en plein milieu de la Manche et cette 2ème heure va être relativement paisible, bien qu’à plusieurs reprises je vais avoir quelques inquiétudes en croisant d’assez près des méduses éparses !!! Une fois mon tour passé, je retourne m’allonger sur le bateau.
A bord, Sergio et les deux journalistes ne sont pas au top de leur forme, FX est toujours accroché à sa rambarde avec Sandrine à ses côtés. Le seul, en dehors de l’équipage, à tenir le coup, c’est Hugues qui se balade un peu partout et aide tout le monde, on sent qu’il a vraiment le pied marin lui… Je suis tellement fatigué que je ne sens même plus le bateau tanguer ni l’eau qui commence à rentrer sur le pont du bateau et mouille ma serviette. Je dors vraiment profondément.
Lorsque je me réveille, la mer commence à bouger de plus en plus et les côtes françaises me paraissent encore loin. Je me prépare car cela va bientôt être à moi. FX en est à 55’ de nage et au vu des mauvaises conditions qui commencent à se lever, le juge m’autorise à me mettre à l’eau comme prévu par le règlement (1heure plus ou moins 5’) et commencer à nager. A ce moment, l’heure qui va passer me paraîtra le double, la mer est très agitée, le vent souffle à Force 5 et les vagues font plus d’un mètre… J’ai l’impression d’être revenu 12 ans en arrière lors de ma traversée où j’ai eu des conditions similaires, ce qui m’avait valu de remporter le trophée Van Vooren du nageur ayant réussi dans des mauvaises conditions.
Cela devient une véritable lessiveuse et j’espère que le pilote ne va pas stopper la traversée, ce serait dommage !!! Je m’éloigne le plus que je peux du bateau pour éviter de me le prendre à chaque passage de vagues mais c’est difficile, car pour éviter de boire la tasse je suis obligé de respirer le plus souvent à gauche et j’ai donc du mal à le voir manœuvrer sur ma droite. Je me heurte souvent à la petite barque qu’il traîne à l’arrière du bateau et qui sert pour accompagner le nageur à l’arrivée lorsqu’il n’y a plus beaucoup d’eau. J’ai du mal à tourner mes épaules mais pendant cette heure interminable où j’ai l’impression de nager dans une lessiveuse, on s’est rapproché rapidement des côtes. Je pense que cela va être mon dernier tour…et quel soulagement lorsque je vois mon relayeur Michèle se mettre à l’eau…
Une fois à bord, je m’assois et bien mal en point je vais passer les derniers moments à essayer d’encourager mes coéquipiers. Le bateau tangue, on doit s’accrocher pour ne pas passer par-dessus bord à chaque vague. Michèle est en train de souffrir des conditions, on sent que les bras sont lourds mais malgré la fatigue, elle est déterminée, cela se voit sur son visage. Pendant sa nage, nous avons bien avancé, on distingue bien les côtes, elles sont à moins de 3km et avec un peu de chance, Hugues peut en découdre avec la Manche. C’est à son tour et il se met à nager avec une brasse déterminée dans l’espoir d’être celui qui touchera terre, mais les courants sont traitres dans la Manche et ils nous déportent latéralement. On ne sait pas trop où nous allons arriver.
Lorsque Hugues en termine avec son heure de nage, il reste moins d’un kilomètre et c’est Sergio qui s’élance pour en terminer avec la traversée. Peter Junior prépare le petit bateau pour l’accompagner dans les derniers mètres. Malheureusement, nous devons rester à bord, on ne peut pas l’accompagner sur la fin car les conditions ne sont pas très bonnes. Sergio nage à fond les derniers mettre, puis on le voit se mettre debout et lever enfin les bras au ciel : ça y est nous avons réussi cette traversée en 13h13 !!!
Sur la plage, il est attendu par Eric, un membre de l’association CSC qui était en contact avec Hugues depuis le bateau. Il est venu exprès pour nous accueillir et nous féliciter, c’est super de sa part mais malheureusement on ne peut pas s’éterniser, il faut impérativement rentrer. La fête avec les membres de l’association se fera plus tard dans un restaurant de Wissant. En attendant, nous sommes tous heureux de ce que nous venons de réaliser mais la galère n’est pas terminée. Nous repartons pour 3 heures de bateau (ou de torture), plein gaz vers Folkestone.
Tout le monde est malade à bord et personne ne parle à l’exception d’Hugues et de l’équipage, pour ma part j’ai presqu’envie de revenir à la nage… Il est 18h30 lorsque nous arrivons au port, après avoir débarqué nos affaires nous faisons une dernière photo souvenir avec la famille Reed et l’observateur, un grand merci pour leur aide et leur gentillesse ! Je ne leur dit pas « à la prochaine »… mais bon, on ne sait jamais !!!
Arrivés à Varne Ridge on voit le drapeau français hissé au sommet du mât à l’entrée du camping ainsi qu’une banderole « Congratulations on swimming the Channel » sur notre mobile home : c’est une tradition des propriétaires qui sont tenus au courant des réussites des nageurs du camping et c’est leur façon de nous accueillir et nous féliciter !!!
Félicitations à toute l’équipe (Michèle, Sergio, Hugues et FX), votre motivation et détermination vous ont emmené au bout d’un rêve et d’une belle aventure, récompensée par l’accueil et le sourire des membres de CSC lors de notre retour ! J’ai été ravi d’être des vôtres.
Pour Damien, Freddy … et tous les autres, vous avez été des killers !!! Cependant, n’oublions pas que la recherche a besoin d’aide, notre traversée est terminée mais CSC a toujours besoin de soutien pour faire avancer la Recherche !!!