Catalina Channel, un raid à vite oublier…

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La Catalina Channel est la version américaine de la traversée de la Manche. Elle se nage entre l’île de Santa Catalina et Los Angeles en Californie, États-Unis. La distance la plus courte est de 33,7 K (21 milles) de la plage dite de Doctor’s Cove sur l’île de Santa Catalina à la péninsule de San Pedro.

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Au niveau des difficultés rencontrées, la Catalina Channel est comparable en tout point avec la traversée de la Manche : eau froide (surtout près des côtes), de forts courants, des vents violents… mais également la possibilité de croiser une vie marine agressive (migration de baleines, grands troupeaux de dauphins et possibilité de présence de requins…)

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La première réussite de la traversée a eu lieu en 1927. Un riche homme d’affaire américain, William Wrigley Junior, grand producteur de chewing-gum et propriétaire de l’île, séduit par l’exploit de la nageuse américaine Gertrude Ederlé dans la traversée de la Manche en 1926, décide d’organiser une traversée afin de promouvoir son île. Une récompense de 25000$ est proposée au vainqueur. Le Canadien George Young remporte le « Wrigley océan Marathon » à la nage en 15 heures 44 minutes. Depuis ce jour, 199 nageurs ont réussi cette traversée.

Elle fait parti des 7 plus grands raids de natation en eau libre dans le monde (Ocean’s Seven).

Samedi 7 juillet, Cathy et moi avons rendez-vous à 20h15 à la Marina de San Pedro (USA) pour retrouver tous ceux qui vont nous accompagner et nous assister lors de notre tentative de traversée du détroit de Catalina au large de Los Angeles.

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Lorsque nous embarquons sur nos bateaux respectifs, l’ambiance est plutôt au beau fixe et nous en profitons pour faire quelques photos-souvenir. A bord de mon bateau accompagnateur, il y a Fabienne mon épouse pour me ravitailler, Beth et Paul pour me suivre en kayak, Natalie et Mickael comme observateurs de l’association qui valide la traversée puis John le capitaine et ses 3 assistants pour piloter le bateau.

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Nous quittons la Marina sur le coup des 21h et traversons à vitesse réduite le port de San Pedro. Le bateau de Cathy est déjà parti depuis une bonne demi-heure. Natalie me lit le règlement de la traversée et les principes de sécurité à respecter. En chemin, sur des bouées ancrées, se reposent des phoques qui laissent penser que l’eau va être froide comme nous l’avions constaté la veille lors de notre dernière séance d’entraînement.

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Sur la plage, le thermomètre affichait selon les endroits entre 10 et 14°C. Lorsque nous atteignons le phare signalant la sortie du port, le bateau augmente sa vitesse et nous commençons à être secoués de tous côtés. La mer annoncée calme affiche en fait des creux de plus d’un mètre. La plupart des gens sur le bateau sont partis se reposer car la nuit s’annonce longue. Mon épouse, quant à elle, souffre déjà du mal de mer et commence à ravitailler…les poissons.

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Après 2h30 de traversée éprouvante (vous avez déjà passé 2h dans un tambour de machine ?) nous arrivons à proximité d’une toute petite plage très peu visible pour cause d’obscurité totale. Le bateau de Cathy est déjà en place, Bernard son mari commence à la graisser et Hervé, leur ami de longue date, est déjà dans l’eau sur un kayak. Sur mon bateau on sent déjà de la démotivation. Beth qui doit m’accompagner en Kayak ne se sent pas d’attaque pour me suivre avec ces conditions de vagues. Fabienne ne se sent plus capable de me ravitailler. Les observateurs ne sont pas chauds non plus car déjà pris par le mal de mer. Le pilote m’informe que normalement on part de nuit car les conditions sont bonnes mais là ce n’est pas le cas. Il y a des vagues d’un mètre environ mais cela ne devrait pas empirer. Seul problème c’est que si nous ne partons pas cette nuit, nous ne le feront jamais car pour les jours suivants, les courants ne sont plus favorables. Au moment où nous devons prendre une décision (qui tend vers l’annulation de la course) et à la surprise générale de mon équipage, Cathy s’élance de son bateau et débute sa traversée. La donne a changé et maintenant plus personne ne s’oppose à me faire prendre le départ de ce raid pour lequel je me prépare depuis des mois.

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C’est l’ami de Beth qui m’accompagnera en kayak pendant la nuit, les vagues ne le dérangent pas mais on ne sent pas une très grande motivation de sa part. Beth quant à elle, se propose gentiment de me ravitailler à la place de Fabienne blanche comme un cachet d’aspirine et vidée de toutes ses tripes. Habituellement, on m’aide pour me graisser, mais là il faut que je me débrouille tout seul. Je ne peux pas faire impasse sur la graisse, vu la température de l’eau constatée les jours précédents. Muni de mes gants chirurgicaux pour éviter de mettre de la graisse sur les mains et ballotté au gré des vagues, je me contorsionne dans tous les sens afin de pouvoir me l’appliquer de partout en évitant d’en mettre sur les épaules.

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Après avoir accroché une lumière clignotante et un stick lumineux à mon maillot, je me jette à l’eau une trentaine de minutes après Cathy et rejoins la plage de départ au milieu des innombrables algues qui m’enlève une partie de la graisse. Mais l’eau à ma grande surprise est à 20°C !!! Là dans ma tête je me dis : « à 14°C, c’est une température idéale pour les phoques, mais à 20°C, c’est une température idéale pour…les requins ! » Surtout qu’il paraît que non loin de là, à Santa Barbara, rôdent des requins blancs qui aiment cette température. Les mêmes que dans « Les dents de la mer »… 🙁  Dans ces cas là, on se dit que généralement, le requin n’attaque pas l’homme et que le kayak et les gens sur le bateau sont là pour veiller… Enfin je m’élance à 00h09 depuis la petite plage caillouteuse qui symbolise le départ. Après deux pas dans l’eau, je m’écroule dans 20 cm d’eau seulement  après avoir trébuché sur une grosse pierre. Ça commence bien !!! Heureusement, pas de dégâts. J’attaque mes premiers mouvements de bras la tête hors de l’eau pour nager au dessus des algues, les projecteurs du bateau en pleine figure. Après une cinquantaine de mètres, je rejoins mon Kayak et le bateau pour commencer mon raid nocturne. Dans l’eau, c’est le noir total, mes bras font des petites bulles vertes éclairées par la lumière de mon stick lumineux. Sur ma droite, le kayak éclairé par 3 sticks, rame paisiblement. Sur ma gauche, le bateau me casse les vagues mais m’envoie ses odeurs de fuel. Un bon coup d’éclairage de lampe torche m’annonce que je suis trop près du bateau et qu’il faut que je m’écarte. En plus cela m’évitera d’avoir les odeurs. Après 30’, c’est l’heure de mon premier ravitaillement, j’ai un peu de mal à l’absorber car un peu nauséeux suites aux gaz du bateau. Les ravitaillements suivants (du liquide  énergétique toutes les demi-heures), auront du mal à passer. Sur le bateau, il n’y a que Beth et les pilotes qui sont opérationnels, les autres sont allés se coucher ou vomir. Dans l’eau je distingue des formes gélatineuses et dès la première heure je commence à être piqué sur les bras et les épaules. La douleur n’est pas très forte, mais désagréable. Elle s’atténue au bout de quelques minutes. Devant moi, j’aperçois que je me rapproche du bateau de Cathy. La motivation me revient en me disant que lorsque je serai à côté d’elle, comme la température de l’eau est bonne, je nagerai à sa vitesse pour faire le chemin ensemble jusqu’au levé du soleil. Cela me permettra d’avoir son bateau, son kayak et Bernard pour nous encourager et assurer une plus grande sécurité. Au bout de 2h30 de nage, je distingue son bateau à une centaine de mètres de moi seulement, je me dirige dans sa direction tout content. Malheureusement, à chaque fois que je lève la tête je m’aperçois qu’il s’éloigne. Que se passe-t-il ? Je sors la tête, regarde tout autour de moi et interroge mon bateau, mais personne n’est capable de me dire ce qu’il se passe. En fin de compte Cathy vient d’abandonner au bout de 3h de nage atteinte de maux de ventre, de piqures de méduses et de difficultés à se ravitailler. Son bateau l’a ramenée directement au port après que son kayakiste soit tombé à l’eau ! Le trajet du départ qui nous a conduit de San Pedro à Catalina lui a été fatal. Pour moi c’est un coup au moral !

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Je me retrouve au milieu du Détroit avec un kayakiste pas très motivé, un bateau quasi-fantôme, des méduses et d’éventuels requins… J’ai l’habitude de dire qu’une traversée se fait 75% dans la tête et 25% dans les bras : là, je suis passé d’un coup à 90% dans la tête. Les bras qu’en a eux, heureusement,  vont bien. Ils tournent toujours à 66 mouvements par minutes, mais après 3h de nage et 12000 mouvements de bras, on m’informe que le kayakiste est fatigué et qu’il s’arrête pour aller se reposer me laissant seul face à mon destin. Je viens de passer à 99% dans la tête pour tenir le coup. Après 4h de nage l’épaule droite commence à me jouer des tours mais rien de grave, j’en ai connu d’autres. Puis cela va être la goutte qui fait déborder Catalina : je me retrouve l’espace d’un instant seul dans le noir à une cinquantaine de mètres de mon bateau. A ce moment, j’estime que je ne suis plus du tout en sécurité et que ma vie dans ce milieu inconnu est en danger. Pour comparer, j’ai l’impression de me retrouver comme un coureur qui fait un 100km dans la savane de nuit avec pour seule sécurité une voiture roulant à 50m de lui et dont les passagers sont endormis. Je ne donne pas cher de sa peau. C’est un peu ce que j’ai ressenti à ce moment là. Lorsqu’au bout de 4h40, j’annonce que je vais arrêter, personne n’essaie de m’encourager et de me motiver à continuer, j’ai l’impression que cela fait plaisir à tout le monde.

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La mort dans l’âme et peu fatigué je remonte à bord du bateau. Je viens de prendre un coup au moral, mais jamais je n’avais vécu des conditions d’accompagnements semblables auparavant. Sur le retour au port, personne ne viendra me voir pour savoir comment je vais à l’exception de mon épouse. Les observateurs n’ont rien noté.

Au final, une traversée à vite oublier … pour déjà se consacrer à notre prochain défi à Cathy et moi fin août !!

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