La Rottnest Island ( »Rotto » pour les australiens), qui signifie »Nid de rats » en hollandais, est une île située à une vingtaine de kilomètres de la côte occidentale de l’Australie, près de Fremantle et de Perth. Longue de 11km et large de 4,5km cette ancienne terre aborigène a émergé des eaux il y a 7 000 ans lorsque la hausse du niveau de la mer a séparé l’île du continent. Elle était auparavant rattachée au reste de l’Australie.
Avant de devenir l’île paradisiaque qu’elle est actuellement, Rottnest Island a servi de prison. D’août 1838 jusqu’en 1903, des prisonniers aborigènes furent envoyés sur l’île. Cette île servit d’établissement pénitentiaire pour les aborigènes du continent condamnés pour vol de bétail, incendie de forêt ou vol de légumes. On estime à 369 le nombre d’aborigènes enterrés sur l’île et à 3 700 le nombre total de prisonniers aborigènes ayant séjourné sur l’île. Pendant les deux guerres mondiales l’île servit de prison pour les ennemis : Allemands et Autrichiens pendant la Première Guerre mondiale, Italiens pendant la Seconde.
Aujourd’hui, l’île vit du tourisme, de la pêche et de la plongée. Avec de larges plages de sable blanc et fin, Rottnest Island attire chaque année de nombreux curieux mais aussi des fêtards qui profitent des bars branchés le long de la côte.. Classé réserve naturelle, l’espace insulaire est un bien que les australiens préservent avec ferveur.
Le 24 janvier 1956, Gerd Von Dincklage est la première personne à traverser le Détroit de Rottnest et c’est en 1991 qu’est organisée pour la première fois la course de la Rottnest Channel Swim avec 44 participants (16 en solo et 7 en relais de 4 nageurs). En février 2015, je me rends en Australie pour prendre part à la 25ème édition de cette traversée de 19,7km, qui est devenue au fil des années une épreuve très réputée dans le monde de l’eau libre.
Le samedi 21 février à 4h00 du matin, le service météorologique prévoit un vent de 60km/h et une houle de 1m pour la journée, mais les gardes-côtes malgré tout donnent le feu vert pour l’organisation et le déroulement de la traversée. A 5h00 du matin, je me retrouve sur la petite plage de Cottesloe avec plus de 2400 autres nageurs.
Il y a 324 inscrits en solo (40% de plus qu’en 2013) et 2100 nageurs en équipes de 2 ou 4. Dans le cadre de mon challenge des îles-Prisons à la nage je me suis inscrit dans la catégorie des nageurs solos avec le numéro 86. Les départs de la traversée sont prévus par vagues de 80 nageurs environ espacées de 10 à 15mn. Il y a au total 13 séries. Les 4 premières sont pour les nageurs solos et je fais partie de la 2ème vague qui part à 5h55
J’ai 45 minutes pour me préparer et comme la journée est annoncée très ensoleillée, mon épouse va me tartiner de crème solaire haute protection en grande quantité afin d’éviter d’être brûlé par le soleil. Je vais également peindre mes avants bras avec de la graisse colorée : vert pour l’avant-bras gauche et bleu pour l’avant-bras droit. Ceci afin d’être reconnu par mon bateau accompagnateur au milieu de tous les nageurs. A 5h45 pile, le départ est donné aux nageurs de la 1ère série, je dois maintenant me rendre dans l’aire de départ.
Il fait encore sombre et il y a un feu sur le sable au milieu de la zone de départ pour se tenir au chaud. Je n’ai pas encore plongé que je suis très fatigué. Je n’ai dormi que 2h la nuit dernière et je ressens la fatigue du décalage horaire (+7h) ; mais faire un peu moins de 20km n’est pas si inhabituel pour moi et je reste confiant. Un petit avion survole la plage, il tracte une banderole où il y a écrit : « Good Luck Rotto Swimmers ! » . Puis pour annoncer que le départ est imminent, un homme joue sur un rythme très lourd du Didgeridoo, un instrument de musique traditionnel des aborigènes.
C’est le compte à rebours et à 5h55, le départ est donné. Je marche et plonge dans l’océan indien, la température de l’eau est de 23°C. Nous suivons un long couloir matérialisé par 2 longues lignes d’eau, je longe celle située sur la droite comme convenu avec mon pilote de bateau. Après 500m matérialisé par 2 grosses bouées, des kayaks rejoignent les nageurs. Pour ma part je n’en ai pas car cela aurait occasionné un coût supplémentaire. Le kayak est recommandé par l’organisation mais pas obligatoire contrairement au bateau pour cette traversée.
Le soleil commence à faire son apparition et après 1000m, une porte formée de 2 grosses bouées marque l’endroit où les bateaux peuvent rejoindre les nageurs. Vu depuis l’eau c’est assez impressionnant : il y a près de 800 bateaux qui scintillent par les rayons du soleil et qui attendent leur nageur. Parmi toute cette flottille se trouve celui de Digby, mon pilote, et son frère Tim à bord pour me ravitailler. Je nage la tête hors de l’eau, façon water-polo, pour essayer de distinguer mon bateau où mes accompagnateurs agitent un drapeau Français.
J’ai 500m pour le trouver car au 1500m, il faut passer ensembles, nageur plus bateau. Une porte matérialise cette limite par un vieux 3 mats et un bateau de l’organisation sinon on est sorti de l’eau. Une centaine de mètres avant la porte fatidique, j’aperçois enfin le bateau de Digby qui me reconnait. Je peux me remettre à nager normalement et c’est parti pour une échappée à la nage de plus de 18km.
Les conditions météos rendent la progression des plus difficiles, un vent de travers me déporte continuellement sur la droite et je suis ballotté par une houle d’environ 1 mètre. Comme le diront d’autres nageurs, nous sommes dans une « washing machine » (machine à laver). Un bateau accompagnateur d’une équipe relais va même en faire les frais, car après une mauvaise manœuvre par rapport aux vagues, il va se mettre à couler…et ce sera malheureusement terminé pour ce relais !
Comme convenu, toutes les demi-heures Tim va me ravitailler en boisson énergétique à l’aide d’une perche. Avec la houle, cela ne sera pas évident et certaines de mes boissons seront mélangées avec de l’eau salée. Dans l’eau, j’ai longtemps distingué le fond à environ 5 mètres de profondeur. J’ai croisé quelques méduses, une urticante et les autres non puis lorsque c’est devenu plus profond j’ai vu beaucoup de plancton mais heureusement rien de plus inquiétant. Après 3h15 de nage, j’arrive à peine à la bouée des 10kms, psychologiquement, j’en prends un coup, je pensais la passer au bout de 2h30 – 2h45.
Mais l’état de la mer a certainement réduit ma vitesse et ma fatigue du départ y a contribué aussi. Je pense que maintenant cela va aller mieux, surtout que je vais avoir des bouées plus souvent pour matérialiser les points kilométriques, ce qui est bon moralement. Entre le 10ème et le 12ème kilomètre, à force de boire de l’eau salée mélangée avec ma boisson énergétique et d’être ballotté par les vagues, je vais être hyper nauséeux et commencer à régurgiter tout mon ravitaillement. A partir de ce moment, je ne pourrai plus rien absorber.
Autour de moi, je sens comme des mouvements anormaux, j’ai l’impression qu’il se passe quelque chose mais Digby et son frère me font signe que tout va bien. J’apprendrai plus tard à la sortie de l’eau, qu’au 10ème kilomètre a été aperçu un requin de 3 mètres qui a été canalisé par les lifegards. Durant toute la compétition, un hélicoptère spécial survolait le site de la compétition pour prévenir d’éventuelle présence de requins. Il me reste encore 7 kilomètres, dans ma tête, je me dis qu’en 2 heures j’en aurai certainement fini.
Mais là je recommence à voir les fonds marins et ô surprise … je n’avance plus ! Je fais quasiment du sur-place, on m’avait prévenu, mais je n’avais pas imaginé que ce serait à ce point. J’ai l’impression d’être dans un « Flume », vous savez ces piscines à contre-courant. C’est l’horreur !!! Lorsque je m’arrête, j’ai l’impression de reculer. Sous l’eau, j’aperçois des méduses qui passent à toute vitesse. Je ne verrai pas le fond j’aurai l’impression d’avancer vite. Mais là, je fais quasi du surplace.
Je vais même mettre à un moment 30’ pour faire un kilomètre. A l’esprit, il me revient une information que l’on nous avait donné la veille au brieffing : « A partir du 12ème kilomètre, ceux qui font demi-tour sont déclarés abandon ». Je ne comprenais pas ce que cela voulait dire, mais maintenant oui ! En fin de compte ceux qui reculent et n’avancent plus sont retirés de l’eau. C’est hyper dur et maintenant pour y arriver tout se passe dans la tête. Je pense à tous ceux qui m’ont encouragé et soutenu avant mon départ, je pense à tous les copains de France Choroïdérémie, à mon épouse qui m’attend à l’arrivée et je me dis qu’il ne faut pas lâcher, malgré la fatigue, le peu de sommeil, je peux y arriver !!! Il faut juste que je tourne les bras et cela devrait passer, à un moment il n’y aura plus de courant contraire.
Mais en fait il y en aura jusqu’à l’arrivée, même quand on a l’impression que cela diminue, ça continue encore. Je vais faire 9km en 3h30. 700 mètres avant l’arrivée, Digby et son frère vont devoir m’abandonner, car les bateaux n’ont plus le droit de nous accompagner, je vais nager seul avec d’autres nageurs. Tout au long du parcours j’aurai nagé avec du monde devant, derrière, sur les côtés, plus de 2400 nageurs dans l’eau c’est impressionnant.
J’arrive enfin dans la zone d’arrivée, j’ai du mal à me lever, je suis vidé, épuisé, fatigué,…mais hyper ravi d’en avoir fini avec la 8ème évasion de mon challenge. J’ai mis 6h52’47 ‘’10 pour effectuer 19,7km ce qui correspond à 20’57 du kilomètre. Je n’aurai jamais imaginé cela avant mon départ. Je termine 126ème nageur solo (6ème de plus de 50 ans) sur les 260 qui ont réussi à terminer. A l’arrivée, je vais recevoir mon pack de finisher avec des lots super sympas (sac, veste molletonnée, polo…).
Je vais mettre une bonne demi-heure avant de récupérer physiquement et me remettre à marcher. Comme certains le disent : « Cette traversée est une bonne préparation pour ceux qui désirent traverser la Manche ». Il y a en même qui disent avoir trouvé la Rottnest plus dur que la Manche !!!
A 17h, la course est terminée et tous le nageurs solos sont conviés au pied du podium pour la remise des récompenses et la photo de groupe. Comme tous les autres nageurs, je vais recevoir une médaille souvenir gravée à mon nom. Avant de retourner vers Perth, avec mon épouse nous allons profiter d’un bon restaurant au bord de la mer après s’être promenés sur l’île et mis les pieds dans l’ancienne prison qui aujourd’hui est transformé en … hôtel, le principal sponsor de l’épreuve : Karma Resorts Rottnest Lodge.
Malgré les difficultés rencontrées ce jour-là, cette traversée fait partie des plus belles que j’ai réalisées à travers le monde avec une organisation hyper rodée. 2400 nageurs pour 19,7km, il n’y a qu’en Australie que l’on peut voir ça !!!