Ma première dans un bassin d’aviron
Avec comme objectif de voyager, je me mets en 1995 à rechercher les différents championnats nationaux pouvant exister sur les distances inférieures à 10 km. En juin, je participe aux championnats eau libre de Grande Bretagne sur 5km. Ces championnats ont lieu près de Nottingham. Le site ne se trouve pas dans la forêt de Sherwood où résidait jadis le célèbre Robin des Bois mais dans le hameau de Holme Pierrepont à l’Est de Nottingham. Nous allons nager dans le bassin d’aviron du National Watersports Center. Généralement habitué en eau libre aux grands espaces, cette fois-ci je vais évoluer dans une piscine géante de 2 kilomètres de long et 100 mètres de large. C’est une première ! Je n’ai jamais entendu parler auparavant d’une épreuve d’eau libre dans un tel plan d’eau. Il faut avouer que les conditions sont idéales pour organiser une épreuve de ce type. Le bâtiment principal dispose de salles de conférence (pour le briefing et les récompenses), d’un restaurant, d’un bar et d’un hébergement pouvant accueillir plus d’une cinquantaine de personnes. Lors des épreuves, le public peut suivre les nageurs en longeant la piste aménagée tout au long du parcours. Sur place, il y a tout ce qu’il faut pour la logistique et l’accueil des nageurs.
Pour les distances de marathon, il n’y a pas besoin de bateau accompagnateur sur une telle épreuve. Les ravitaillements peuvent se faire depuis un ponton. Sur les gradins du centre nautique; les spectateurs peuvent assister au départ, aux ravitaillements et à l’arrivée des concurrents. Ces conditions idéales vont d’ailleurs séduire les hautes instances de la natation. D’autres épreuves vont se succéder au fil des années dans ce même bassin : championnats du monde masters, coupe d’Europe… Les bassins d’aviron vont devenir un plan d’eau idéal pour l’organisation des différents championnats internationaux d’eau libre. En effet, c’est ce type de plan d’eau qui sera utilisé lors des championnats du monde de natation à Montréal en 2002 et qui va séduire le Comité International Olympique. Cela contribuera ainsi à l’entrée du 10 km en eau libre au programme des Jeux olympiques à partir de 2008.
Lorsque je me mets à l’eau en 1995, loin de moi l’idée qu’un jour la discipline devienne olympique. Mon unique objectif, ce jour-là, est d’accomplir l’aller-retour de cette grande piscine pour mon plaisir. J’apprends alors qu’il y a une catégorie « masters » dont je fais partie. A l’arrivée, je termine 5ème au général et 2nd dans ma catégorie. Mais la grande surprise, c’est lorsqu’un délégué des instances médicales de l’ASA (Fédération de Natation Anglaise) vient me voir alors que je ne suis pas encore sorti de l’eau. Il me fait signer une convocation pour subir un contrôle anti-dopage. Je n’ai jamais gagné à aucune tombola de ma vie, mais là exceptionnellement j’ai gagné ! Le tirage au sort m’a désigné. A partir de ce moment-là, ce délégué ne va plus me lâcher. Tel un « poisson pilote », il va rester collé à moi et ne plus me quitter jusqu’à ce que j’ai « rempli » ma mission.
« Rémora », c’est le surnom que je lui donne pendant la longue attente qui va suivre. Le rémora est une espèce de poisson pilote qu’utilisent les pêcheurs de l’Océan indien ou des Caraïbes pour capturer des gros poissons.
J’ai une heure pour me rendre dans une chambre où doit s’effectuer mon prélèvement d’urine. La cérémonie des récompenses a également lieu dans une heure. A la sortie de l’eau, mon « Rémora » m’accompagne jusque dans les vestiaires. Il regarde tous mes faits et gestes. Lorsque je vais prendre une douche, il est toujours à côté de moi, je n’ai pas le droit de fermer la porte. Cette situation n’est vraiment pas agréable. Je décide donc d’accomplir au plus vite ce qui m’est demandé pour pouvoir ensuite profiter des réjouissances de la cérémonie et discuter avec les autres nageurs. Mais malheureusement, une fois arrivé au local de contrôle, je n’ai pas spécialement envie d’uriner, sûrement la pression ! Il m’est impossible de remplir les 150 ml qui me sont demandés surtout quand on me regarde faire. Mon attente dans cet endroit risque de durer plus longtemps que ce que j’avais prévu. Je n’ai plus le droit d’en ressortir. Des boissons et des sodas sont à ma disposition pour m’aider. Après deux petites bouteilles d’eau avalée, toujours rien et c’est l’heure des récompenses. « Remora » accepte que je quitte le local pour aller chercher ma récompense. Mais bien sûr sans me décoller. J’ai bien vu le moment où il allait monter sur le podium avec moi. Une fois ma médaille autour du cou, je suis prié de retourner au local sans assister à la suite. Pendant la longue attente qui va suivre, je vais boire, puis boire et encore boire … Pour faire passer le temps je discute avec mon poisson pilote. Il parle français comme moi je parle anglais, mais on arrive à se comprendre. J’apprends qu’une nageuse Française aurait été contrôlée positive dernièrement et mon « tirage au sort à la tombola » du contrôle anti-dopage n’est donc pas anodin. Deux heures après la fin de ma course et plus d’un litre et demi d’eau ingurgitée, j’ai enfin une envie très pressante. Le contrôle peut enfin commencer. Après avoir choisi deux gobelets enfermés dans un sac plastique scellé, je pars en courant aux toilettes toujours en compagnie de « Remora ». J’ai une telle envie que sa présence ne me dérange plus. Il pourrait même y avoir des centaines de spectateurs que cela ne me gênerait pas. Je remplis plus que ce qui est demandé. Ouf ! Mission accomplie. Le temps de remplir les dernières formalités et me voici enfin libéré de mes obligations et de mon poisson pilote. Dans le bâtiment du National Watersports Center il ne reste plus que moi et les organisateurs. La fête est finie et tous les nageurs sont déjà repartis. Il me faut retourner à mon hôtel. Malheureusement, ce contrôle a duré plus de trois heures et il n’y a plus de bus pour le centre de Nottingham. Les seules personnes présentes sont logées à la base d’aviron pour le 25 km du lendemain. Il va me falloir rentrer à pied. J’ai dix kilomètres à faire avec une vessie bien remplie. Un verre ça va, mais plus d’un litre et demi bonjour les dégâts. Lors d’un marathon, je m’arrête toutes les vingt à trente minutes pour me ravitailler. Là je dois m’arrêter tous les quarts d’heure pour me « soulager».
La nuit qui suit est des plus désagréables, je vais passer plus de temps aux toilettes qu’à dormir. Au final, le contrôle est négatif. Normal ! La principale source d’énergie que je consomme est une célèbre pâte à tartiner au chocolat et noisettes, qui ne figure pas sur la liste des produits interdits.